Date : 04/03/2024
Écrit par Jeanne Guendoul
Cours de hip-hop et langue des signes : lier le monde sourd et entendant à travers la danse
Cette année, nous sommes super fières de proposer une discipline unique qui nous permet d’emmener plus loin notre définition de l’inclusion par la danse, le cours de hip-hop et langue des signes. Unique en France, le hip-hop et langue des signes est enseigné par Pierre Zeltner, un passionné de la culture hip-hop et de sa transmission, qui enseigne également le Litefeet débutant.
L’objectif de ce cours est de créer du lien entre le monde des entendants et non-entendants en exploitant la richesse de la langue des signes en tant qu’outil de création et d’exploration dans la danse hip-hop. Sur la base de la langue des signes française (LSF), les mouvements prennent vie de différentes façons, parfois chorégraphiés, parfois improvisés, et toujours sujets à interprétation. Le hip-hop en langue des signes explore toute la richesse gestuelle du signe et s’en sert comme d’un levier à la communication entre sourds ou entendants. Ce cours est enseigné sous une forme ludique, permet de se familiariser avec les bases de la langue des signes, tout en évoluant dans la culture hip-hop. Dispensé avec passion et pédagogie, ce cours est une passerelle à la découverte d’un monde invisibilisé par nos sociétés, celui du silence.
Le monde des sourds et malentendants, une communauté invisibilisée
La surdité est un handicap visuellement imperceptible, largement dissimulé dans nos sociétés contemporaines. Réprimée et considérée pendant plusieurs siècles comme un mal à éradiquer, la question de l’intégration et de la considération des personnes sourdes et malentendantes se pose aujourd’hui comme une priorité pour les individus concernés. On compte 70 millions de sourds dans le monde et pas moins de 6 millions en France, ce qui représente environ 16 % de la population française.
Les sourds en France, histoire d’une inclusion complexe
D’abord opprimée par le mouvement oraliste du XIXᵉ siècle, les sourds et malentendants ont réussi à forger une vraie communauté soudée et liée par un langage spécifique. La Langue des Signes Française (LSF) est apparue comme un outil essentiel à l’intégration de ces personnes, leur permettant de communiquer, à la fois entre eux·elles, mais aussi avec le reste du monde. La surdité est encore trop souvent considérée comme une maladie, une déficience qu’il faut soigner et éliminer. Historiquement, la prise en charge de ce public a été marquée par une quête effrénée de la “norme” à travers la propagande des prothèses auditives et des séances d’orthophonie rééducative. Les jeunes sourds étaient alors séparés des entendants, placés dans des écoles spécialisées dont l’enseignement était focalisé sur l’apprentissage de l’oralisation. Bien que déjà pratiquée par une petite communauté, la Langue des Signes était totalement bannie de la pédagogie.
Ce n’est qu’à partir des années 80 que les communautés sourdes, soutenues par des chercheurs en linguistique et autres spécialistes, initient des démarches pour la reconnaissance de la LSF en tant que langue à part entière. L’objectif est de valoriser la culture et l’identité sourde, mais aussi de faire partie intégrante de la société. Ce mouvement sera également soutenu par la création de structures comme l‘INJS (Institut National de Jeunes Sourds), mais aussi par des projets de recherche qui démontrent les avantages de la LSF pour le développement cognitif et social des enfants sourds. En 1989, la loi Fabius est votée à l’Assemblée, et autorise pour la première fois l’usage de la LSF dans les établissements spécialisés. Elle reste pourtant encore aujourd’hui très minoritaire, et la plupart des enfants sourds continuent d’être éduqués principalement par oralisation. Ce n’est qu’en 1996 que le Conseil Supérieur de la Langue Française reconnaît officiellement la LSF comme une langue, un pas symbolique vers une plus grande inclusion du public sourd.
2005 marque un tournant décisif en France pour les communautés sourdes. La loi du 11 février 2005 sur l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées reconnaît officiellement la LSF comme une langue à part entière et inscrit le droit à l’éducation bilingue (LSF-français) pour les enfants sourds. À partir de cette année-là, le système éducatif adopte une approche plus inclusive. Les enfants sourds sont beaucoup mieux accompagnés dans leur parcours scolaire, et sont intégrés avec plus de confort dans les classes entendantes.
À ce jour en France, on compte 300 000 sourds pratiquant la langue des signes (aussi appelés “signants”).
Les différents types de handicaps liés à la surdité
La surdité peut revêtir différents manteaux, et aboutit à des handicaps qui ne nécessitent pas la même approche thérapeutique. Il est impossible de dichotomiser le monde sourd entre sourd·es et malentendant·es profonds et malentendants tout court, en raison des différentes formes de surdité qui relèvent chacune d’une réalité complexe. Le phénomène de surdité se distingue par type et degrés, bien au-delà de la figure caricaturale du “sourd-muet”, terme aujourd’hui très trivial puisque la surdité n’a rien à voir avec le mutisme. Il existe tout de même des personnes sourdes et muettes, mais elles restent très peu nombreuses. La majorité des sourds et malentendants peuvent oraliser, tandis que la majorité des muets peuvent entendre. Le monde des sourds est aussi riche que méconnu, encore beaucoup trop marginalisé malgré une culture et un mode de communication fascinant.
La langue des signes : le corps au service de la communication
Depuis la reconnaissance de la langue des signes par les systèmes éducatif et thérapeutique, la surdité s’est émancipée du monde des entendants en développant sa propre culture à travers sa propre langue, la Langue des Signes Française. Le corps est un terrain d’expression essentiel, qui a considérablement évolué au fil du temps. Déjà au XVIIIᵉ siècle, l’Abée de L’Épée, un prêtre conscient du potentiel de ce mode de communication, fonde la première école publique pour enfants sourds à Paris. La LSF a parcouru un long chemin avant de devenir une langue officielle, mais a permis à de nombreux sourds de sortir de l’isolement.
Les mains sont l’élément principal de la Langue des Signes Française, mais aussi le 1ᵉʳ élément de communication chez les humains. Selon Darwin, c’est grâce à l’évolution de l’utilisation de nos mains que nous avons commencé à nous déplacer sur nos pieds. Chez les nouveaux-nés, ce sont les mains qui assurent le travail d’interaction avec le monde. De la même manière, le discours d’un homme politique sans une gestuelle appropriée n’aurait pas le même impact. Nos mains participent à notre prestance, notre éloquence, mais aussi à la bonne compréhension de nos interlocuteurs.
Dans la Langue des Signes, le langage oral ne sert pas toujours de base à l’expression signée, il est très souvent plutôt remis en question. Certains concepts de la langue orale sont difficilement traduisibles en LSF comme par exemple “tomber dans les pommes” ou bien “au moins”. La LSF a construit son propre référentiel et appréhende le monde avec ses propres expressions. Par exemple, pour dire que l’on est déjà allé à la montagne, on signe littéralement “touche, déjà, la montagne”. Le signe des mains est aussi accompagné d’une expression faciale beaucoup plus marquée, presque exagérée, qui facilite le récit d’une histoire ou l’exposition d’une idée.
La culture générale : socle de la Langue des Signes
Le signe est une langue extrêmement riche, très calquée sur la culture générale. Les noms des villes sont par exemple signés selon leur particularité. Pour Toulouse on signera littéralement “brique rose”, un clin d’œil à son architecture urbaine. Même chose pour les mois de l’année, dont les signes font référence à un événement du mois particulier. Pour janvier par exemple, on signe une bise, celle que l’on se fait pour se souhaiter la bonne année, tandis qu’avril sera symbolisé par un poisson dans un courant d’eau.
Une communication spontanée et sans filtre
Autre particularité de la LSF, sa dimension directe et décomplexée. Lorsque les sourds et malentendants communiquent, ils ne s’encombrent que très peu des convenances de la langue orale. Par exemple, pour dénommer quelqu’un, ils s’attachent principalement aux caractéristiques évidentes. Si une personne est mince, en surpoids, où avec un signe distinctif particulier, ils·elles désigneront une personne en mimant ses formes. Même chose pour quelqu’un qui a un nez proéminent ou des cheveux frisés. La notion de pudeur est elle aussi largement absente de la LSF. On parle de sexe très facilement, et de manière crue, on partage sur ses émotions presque sans filtre, la communication est prioritaire et ne connaît pas de quasiment pas de tabou. Toute cette approche remet en question les mœurs et valeurs de la sphère entendante, leur rapport à eux·elles-mêmes et au monde.
Langue des signe et Hip-Hop, un levier à la communication
La Langue des Signes et le Hip-Hop sont deux disciplines beaucoup plus similaires qu’il n’y paraît. Toutes les deux perpétuent le travail de la mémoire vivante, et conservent leurs connaissances à travers la transmission orale et corporelle. Nos contextes de communication sont aujourd’hui très figés. L’imprimerie et la digitalisation ont éteint nos processus d’apprentissage et de transmissions initiaux, et ont imposé un support intermédiaire entre les humains, un livre ou une page internet. Dans le Hip-Hop, l’enseignement direct est toujours de rigueur. L’apprentissage se fait par la reconnaissance des pairs et des pionniers de la discipline. Culture urbaine et underground forgée dans un esprit à la fois militant et pacifiste, le Hip-Hop est lui aussi un moyen de communication et d’expression. On s’entraîne en groupe, on se transmet son savoir, on se défie, on échange en dansant. Dans la LSF, c’est sensiblement la même chose, c’est le corps qui est au service de la mémoire. C’est dans ce sens-là que les 2 disciplines se lient, et le résultat est plutôt bluffant.
Travail de la mémoire vivante
Ce travail de mémoire vivante se fait malheureusement assez rare en Occident. Le patrimoine est figé sur papier ou digitalisé, il n’y a plus vraiment besoin de continuer à se transmettre personnellement les savoirs. À l’inverse, on compte énormément de culture et d’ethnies où les connaissances ne peuvent être transmises qu’oralement. C’est souvent le cas pour les pays anciennement colonisés qui ont vu leur culture se réduire au silence. Dans ces cas-là, la culture survit à travers le récit et le maintien de la communauté. Par exemple, les nombreuses tribus amazigh du Maghreb conservent tant bien que mal leur culture et leur patrimoine immatériel à travers la transmission orale intergénérationnelle. Contes, langues, proverbes et symboles vivent à travers la parole des anciens de chaque peuple, et tente de prospérer aussi longtemps que possible.
Chorégraphie et expression signée
Enseigné par Pierre, aka LiteSign, le cours Hip-Hop en Langue des Signes a pour objectif de sensibiliser les entendants à la LSF de manière confortable, et de donner une première approche du monde sourd à travers la danse. Il a pour vocation de casser les barrières entre ces deux mondes cloisonnés, et de délier à la fois les mains et les langues de chacun. Au départ d’un travail de groupe sur le même modèle qu’un cypher de Hip-Hop, chaque danseur·se relève une de ses propres gestuelles pour la transformer en mouvement. La recherche est axée sur la spontanéité du geste, le professeur cherche à débusquer la personnalité de chacun pour mieux la faire ressortir dans le processus créatif. Ludique et good vibes, le cours de Hip-Hop en LSF donne un aperçu de ce que peut être l’apprentissage d’un nouveau mode de communication. Il permet aussi de se familiariser avec ce que peuvent ressentir les personnes sourdes qui évoluent dans un monde qui les isole.
Rdv tous les mardis de 20h30 à 22h à S.W.A.G. Studio Marseille du Vieux-Port au 3 rue Fortia. Les places s’envolent très vite, n’hésitez pas à réserver votre créneau ! Venez vous rencontrer, danser, signer !