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Date : 04/03/2024
Écrit par Jeanne Guendoul

La proposition de loi 1149 : le hip-hop en danger

Si vous faites partie de la famille du hip hop en tant que pro ou amateur, ou que vous êtes un adepte de sa culture, vous avez forcément entendu parler du dernier projet gouvernemental à son propos. La fameuse proposition de loi 1149 qui souhaite rendre obligatoire l’obtention d’un diplôme d’État pour pouvoir enseigner les danses hip hop, mais aussi les “danses du monde”, et tout autre type de danse urbaine et traditionnelle désignée par “…” dans le texte de proposition de loi. Cette proposition a suscité un soulèvement au sein de la communauté des danses urbaines.  De nombreux professionnels de cette culture se mobilisent aujourd’hui pour protester contre ce projet de loi. On lui reproche d’avoir des conséquences catastrophiques pour les danseurs•ses du milieu et les écoles. Nous partageons cet avis. L’adoption de cette loi va au-delà de l’encadrement juridique de la profession. Elle pourrait avoir un impact sur son identité et sa mémoire.

Mais alors en quoi consiste concrètement la loi 1149 ? Quels en sont les enjeux ? Quelles répercussions ce changement pourrait avoir sur l’évolution du hip hop et des autres danses urbaines ? Nous avons souhaité faire résonner leurs voix à travers ce billet de blog pour sensibiliser le plus grand nombre à cette cause si essentielle à la fois aux dimensions culturelle et sociale en France. Nous souhaitons aussi visibiliser les actions et initiatives prises par les professionnels pour que tout le monde puisse s’impliquer juridiquement et apporter son soutien à ceux qui se battent contre la promulgation de cette loi. 

Pour bien lutter, il faut parler la même langue. Il est donc primordial de bien comprendre le fonctionnement juridique inhérent à cette proposition de loi. Dans cet article, nous commencerons par explorer le contexte du projet de loi. Nous nous pencherons ensuite sur les revendications des danseurs·ses, pour terminer par les actions à soutenir pour empêcher la promulgation de cette proposition de loi. 

LE HIP-HOP DIT NON À LA LOI 1149

Le contenu juridique de la loi 1149

La loi 1149 a pour objectif principal de rendre l’enseignement de hip hop soumis à l’obtention d’un DE (diplôme d’État) nécessitant 3 ans d’étude. Il est important de savoir que le DE en question existe déjà et concerne à ce jour les danses classique, jazz et contemporaine. Ce DE a été établi dans le cadre de la réforme de l’enseignement artistique et sportif en France, qui a commencé dans les années 1960 et s’est poursuivie au fil des décennies suivantes. 


Ce projet de réforme est porté par les députés Fabienne Polpolk du parti Renaissance et Valérie Bazin-Malgras des Républicains. Leur ambition est de faire une refonte du diplôme d’État déjà existant en y intégrant le hip hop mais aussi les “danses du monde”. 

La volonté des députés est d’homogénéiser le diplôme d’État déjà existant en y intégrant des mentions pour chaque nouvelle discipline. 


L’exposé des motifs  (revient à l’intention de la législation proposée) transmis par les députés à l’Assemblée Générale met en avant des opportunités de formations et d’évolution professionnelles reconnues par l’État, c’est-à-dire la certification professionnelle. Les députés du parti Renaissance appuient également leurs propos par les enjeux de santé et de sécurité comme d’éventuels d’accidents corporels lors des cours dispensés. Ce DE pourrait, à leur sens, offrir une formation à 360° aux professeurs, tout en leur permettant de saisir de nouvelles opportunités professionnelles. N’hésitez pas à consulter la proposition de loi 1149 afin de bien comprendre tous les arguments mis en avant par les députés. Aujourd’hui, dans les Conservatoires ou les Centres Nationaux de Danse qui enseignent les danses hip hop, la formation a un coût compris entre 1200 et 7200 euros et s’étale de 1 à 3 ans. À ce jour, on ne sait pas quelles institutions seront habilitées à le délivrer ni pour quel montant. Plusieurs questions d’ordre structurel se posent : 

  • Sur quelle base construit-on une catégorisation des danses du monde ?

  • Comment ne pas discriminer l’accès à ce BAC+3 qui sera onéreux ?

  • Qui sera désigné pour délivrer ce DE ? Quel sera le contenu de ce DE ? 

Le flou juridique autour des disciplines concernées : une méconnaissance étatique

 

Malheureusement, cette proposition de loi ne concerne pas uniquement le hip hop, mais toutes les danses urbaines et popualires enseignées en France. Celles-ci sont énumérées comme suit ; hip‑hop, danses régionales de France, danses baroques et danses anciennes, danses du monde, autres… 

La première chose qui frappe est un grand manque de précision dans l’énoncé des disciplines concernées par cette refonte.  


Raïssa Leï est chorégraphe, créatrice de la compagnie Kif Kif Bledi et du centre culturel du même nom qui promeut les danses issues des traditions d’Afrique du Nord et du Liban à travers des spectacles et des ateliers. Elle souligne la vision à la fois réductrice et occidentale portée par les députés sur ces danses. “Englober toutes ces cultures différentes dans un même terme est un non-sens. La notion même de diplôme est une vision très occidentale de ces cultures qui se distingue totalement des autres disciplines françaises énoncées dans l’exposé des motifs. C’est aussi nier toutes les personnes qui ont participé à la mise en place de ces danses sur la scène, à ceux qui ont construit toute la renommée de cette culture aujourd’hui.” Les “danses du monde” sont inhérentes à une multitude de folklores et de cultures absolument irréductibles à un diplôme d’État. Ce manque de connaissance et de considération de la part des députés envers les disciplines concernées ne peut être qu’inquiétant quant à la suite du projet de loi.

Le processus juridique de la loi 1149

Maintenant que nous avons passé en revue les modalités du projet de loi 1149, il est important de comprendre le processus juridique sous-jacent à sa promulgation. Concrètement, qu’est-ce qu’un projet de loi ? Comment se met-il en place ? 

Un projet de loi peut être porté par le gouvernement, les membres du Parlement (députés ou sénateurs), ou dans certains cas par le président de la République. Si le projet de loi est porté par les membres du Parlement, il est ensuite déposé soit à l’Assemblée nationale (pour les projets de loi ordinaires), soit au Sénat (pour les projets de loi constitutionnels ou organiques), selon la procédure législative applicable. Dans le cas de la loi 1149, il a donc été déposé à l’Assemblée Nationale, qui en a examiné les modalités pour ensuite voter son acceptation ou son rejet. 


Le 7 mars dernier, la loi a été acceptée à majorité des députés de l’hémicycle. La prochaine étape est l’analyse de ces amendements par le Sénat en vue d’un vote. Les sénateurs peuvent, eux aussi, déposer des amendements. Après son passage au Sénat, elle pourra être promulguée. Les sénatreurs·rices doivent alors être sensibilisés aux risques encourus par les acteurs du hip hop si la loi venait à être validée.


Certains députés de gauche ont pourtant fait entendre leurs protestations lors des débats, comme Hendrick Davi de la France Insoumise. Il souligne le manque de sens de ce projet qui met la priorité sur les diplômes avant de donner de vrais statuts aux professionnels du milieu qui travaillent sans protection depuis l’arrivée du hip hop en France. 

Yannick Monnet, député NUPES a, lui aussi, défendu l’abandon de cette loi pour la culture hip hop qu’il qualifie de “nature indomptable”. Il met en relief la grande diversité de cet art, alors incompatible avec un DE de trois ans. De plus, il appuie le refus majoritaire de sa communauté, tandis que les rapporteuses de cette loi, elles, soutiennent avoir entendu “tout le monde”. 


La députée Fabienne Polpolk affirme sa position en disant que tous les acteurs du hip-hop qu’elle aurait consultés seraient en majeure partie favorables à la création d’un DE. Du côté de l’opposition, la pétition NON AU DIPLÔME D’ÉTAT POUR L’ENSEIGNEMENT DES DANSES POPULAIRES s’élève maintenant à plus de 25 000 signataires. 


Véritable dialogue de sourd ou mensonge assumé de la part des députés ? À ce jour, et les chiffres concernant les acteurs du hip hop consultés par les députées Fabienne Polpolk et Valérie Bazin-Malgras n’ont jamais été communiqués. 

Si la loi venait à être promulguée, les conditions de dispense du DE seront fixées par le ministre de la Culture après concertation avec les syndicats des professionnels de la danse concernées, les associations concernées, les pédagogues reconnus et les écoles privées des disciplines.

À l’heure où le Breaking entre au JO, le hip-hop balayé par une étude flash

En 2022, une étude commanditée par la Commission des Comptes sur le spectacle vivant en France nous donnait les chiffres suivants : 80% du spectacle vivant est occupé par la scène contemporaine, contre 10% au hip-hop et 4% aux danses du monde. Les conclusions de cette étude démontrent que les subventions allouées aux professionnels de la danse contemporaines ont engendré des dettes. Les subventions étaient allouées sans obligation de résultat (comme un spectacle ou des cours). Cette année, le breaking fait sa grande entrée aux Jeux Olympiques, et l’intérêt pour le hip-hop se fait sentir. Le hip-hop est une culture aujourd’hui extrêmement renommée qui représente un marché économique conséquent, non encadré par l’Etat. 

Lors de la conférence organisée par Kif Kif Bledi le samedi 30 mars 2024, Jihene Slimani  nous raconte l’histoire de ce projet de loi 1149. En 2023, Fabienne Colboc a répondu à une mission du gouvernement qui demandait un audit de l’enseignement des danses hip hop en France. Afin de réaliser cet audit, c’est l’association loi 1901 ON2H (Organisation Nationale du Hip Hop) qui s’est présentée au gouvernement. William Messi, membre du conseil d’administration de l’association, proche de la sphère sénatoriale. C’est à son initiative que cette étude flash s’est mise en route. “En France, l’apparition de la culture Hip Hop remonte à plusieurs décennies. Pourtant, en raison de son manque de reconnaissance et de son mode de transmission peu structuré, son patrimoine culturel tend à tomber dans l’oubli. C’est pourquoi, ON2H établit comme l’une de ses priorités le développement d’outils culturels et pédagogiques assurant aux futurs acteurs une pratique consciente de leur art, par la connaissance de son histoire” peut-on lire sur leur site web

ON2H a réalisé son étude sans aucun chiffre à l’appui. À ce jour, on ne sait pas combien de personnes et acteurs du hip hop l’association a consulté. Jihene relève la nature incohérente de cette étude puisque le hip-hop est la danse la plus pratiquée en France. Une étude flash de quelques dizaines de pages est absolument insuffisante pour analyser et comprendre l’ampleur et la diversité du mouvement. 

Jihene pointe beaucoup d’amendements problématiques tels que ;  

  • Un possible retrait du DE en cas de participation à une manifestation non autorisée = verrouillage d’une culture dont l’essence est contestataire

  • Un casier judiciaire vierge exigé pour pouvoir passer le DE = exclusion d’un public déjà marginalisé

  • La possibilité d’ajout de nouvelles disciplines au DE à travers la passation d’un simple décret. Le décret est un acte qui ne nécessite pas de validation par le Parlement, et qui peut être signé par le président de la République ou son premier Ministre. 

De plus, cet encadrement juridique va imposer une grille tarifaire aux danseurs qui fonctionnent aujourd’hui avec un statut d’auto-entrepreneur leur permettant de fixer leurs tarifs selon leur lieu d’exercice, leur discipline et leur ancienneté. Cette grille tarifaire serait définie par des conventions territoriales, chiffrées à 23 euros de l’heure en brut. Ce tarif vient déprécier le métier de professeur de danse dont le tarif horaire actuel est au minimum de 50 euros net. Cette baisse est contradictoire avec l’un des premiers mobiles de cette proposition de loi qui était la valorisation de la profession. 

Le hip-hop : une culture underground de l’autodétermination

Le projet de loi 1149 est en totale opposition avec l’essence du hip hop puisqu’il cherche à l’enfermer dans une vision étroite, absolument insuffisante face à son immense diversité. Pour les “danses du monde”, le problème est tout aussi sérieux. Ces danses se comptent par centaines, sont relatives à des cultures de peuples ancestraux, et ont évolué dans le temps, sans l’encadrement de document, fédération, ou organisation.

 

Queensy, artiste, professeure de Dancehall précise lors de la même conférence du 30 mars, que ces cultures ne peuvent être réduites à de simples disciplines. Elle met en avant l’importance des origines underground du Dancehall, et le gap entre les dernières et les nouvelles générations d’élèves qui l’apprennent en studio. La transmission hip hop fonctionne sur la base d’un système hiérarchique qui valorise la pratique, l’ancienneté et la preuve. Ce sont les pairs et les pionniers qui forment les entrants, et ce n’est que l’expérience qui façonne et légitime un danseur. Ouvrir la voie académique donnera lieu à une commercialisation du hip hop et à l’anéantissement de cette transmission essentielle à la conservation de son histoire. Toute la dimension politique et sociale s’est déjà bien émiettée, et l’obligation d’un parcours académique viendrait à bout de cette culture de la rue. L’histoire de la transition risquerait de se perdre totalement. Elle relève aussi l’insuffisance de la vision du corps juridique sur les organisations de danse qui se sont faites seules, à la force de leur communauté. Sa proposition : aller plutôt à la rencontre des communautés existantes, et faire avec elles.

 

Dans la même table ronde de Kif Kif Bledi, Ricky Soul, l’un des pionniers de la house en France, intervenant multiforme met l’accent sur l’importance du système de transmission du hip hop. C’est la reconnaissance par ses pairs, le parcours et le vécu qui donnent lieu à une évolution légitime dans le milieu. De plus, c’est une culture afro-descendante, et plus exactement afro-américaine. Créer un diplôme en France serait dépourvu de sens, voire condescendant, la majeure partie de danseurs se forment en voyageant à la quête des pionniers du mouvement. La hiérarchie de l’expérience prime dans le hip-hop. Cette validation se fait dans les clubs, les battles, les jams et les écoles de hip-hop actuelles sont dirigées par des danseurs qui ont eux-même suivi ce parcours. De plus, un diplôme ne peut pas évoluer au même rythme qu’une danse et une culture. L’une est statique tandis que l’autre est en perpétuelle mouvance. 


Loic aka Légende Urbaine de son blaz, professeur de danse en CDI dans la ville de Sevran clame haut et fort On n’a pas besoin d’être reconnu, mon diplôme c’est mon background

hip hop loi

Exclusion des classes populaires : le risque de gentrification du hip-hop

La France a une culture de diplôme qui prime sur les compétences, tout l’inverse du hip-hop. Ce projet de loi tend à une gentrification des cultures populaires sans les consulter ni les impliquer. 

Rickysoul dénonce un réel mépris de la part de l’État concernant les carrières et statuts des professionnels du hip-hop qui ont évolué par leurs propres moyens au fil des décennies. Il déplore également le grand risque de gentrification du hip-hop. Le système éducatif français est encore inadapté aux classes populaires, qui composent en très majeure partie le hip-hop. Formater son apprentissage revient exclure ces populations déjà en marge, et à donner l’opportunité à des classes moyennes et bourgeoises de s’emparer de cette culture en fléchissant son niveau. Le DE aura un coût, mais les infractions aussi. L’amende peut s’élever à 15 000 euros pour les professeurs enseignant sans diplôme, et entre 3000 et 7000 pour les écoles. 

Quelles actions pour protester contre la loi 1149 ?

Aujourd’hui, il est important de se mobiliser pour protester contre l’anéantissement de la culture hip-hop, et de soutenir les mouvements mis en place tout en visant les institutions adaptées. L’un des enjeux principaux est de faire entendre les voix des acteurs concernés auprès des députés de l’Assemblée Générale qui devra voter cette loi plus tard. Il est capital de pouvoir éveiller la conscience des élèves et des communautés pour donner de l’ampleur à la contestation. Aussi, il faut en finir avec la distance entre le politique et les acteurs du hip-hop à travers une information accrue, et une compréhension des processus juridiques.

Les acteurs de la résistance : 

  • pétition Nonalaloi1149; vous trouverez un max d’infos et de témoignages ultra-intéressant, mais aussi la pétition et la tribune adressée aux responsables politiques. 

  • pétition Kifkifbledi; la compagnie s’engage pour alerter les autres professionnels de la danse

  • LeMoovement, un Instagram qui relaie de nombreuses infos, mais aussi la pétition principale. 

Mobiliser toute la communauté

Si vous faites partie de la communauté hip-hop de près ou de loin, continuez d’informer les gens autour de vous en partageant les comptes Instagram, les pétitions. L’implication des élèves est un point clé de l’opposition, puisque leur enseignement en sera directement impacté si la loi est promulguée. On vous partage la vidéo Konbini à ce sujet où vous retrouverez le témoignage d’Ambre et Fabbreezy, tous deux danseurs, chorégraphes et membres du collectif Non à la loi 1149. 

 

Le hip-hop est une culture holistique, 360° qui rejoint le concept de lifestyle au-delà de la performance. Cette culture underground a formé de grands artistes autodidactes qui travaillent aujourd’hui avec les plus grands, sans avoir eu recours à une formation. 

Le hip-hop s’est construit sur la base de revendications sociales, en totale discordance avec les institutions politiques. Laissons le hip-hop grandir à travers les générations comme un héritage culturel majeur

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